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Discours de Messali Hadj au Stade Municipal d'Alger

Le 2 Août 1936

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1- Le discours en arabe العربية باللغة الخطاب

2- Le discours en français

3- Analyse du discours par Benjamin Stora

Discours de Messali Hadj au Stade d’Alger (2 août 1936)

Messieurs, Mes frères,

Au nom de l’Etoile Nord Africaine je vous apporte le salut fraternel, la solidarité des 200.000 Nord-africains qui résident en France. Par respect à notre langue nationale, la langue arabe que nous chérissons tous et que nous admirons, et aussi pour la noblesse du peuple algérien, brave, généreux j’ai tenu à m’exprimer, après un exil de douze ans, en ma langue maternelle, devant vous : je suis heureux et profondément satisfait de pouvoir, aujourd’hui, prendre contact officiellement avec vous et profiter de l’occasion qui m’est offerte pour vous dire combien je suis à la fois heureux et ému de poser mon pied sur le sol de nos ancêtres et de vous dire combien j’ai souffert dans mon âme d’avoir été longtemps éloigné de ma patrie.

[Après avoir salué l’assistance en langue arabe, Messali présenta en français l’historique de l’Etoile Nord-Africaine et précisa la politique de son organisation.]

Certes, nous approuvons les revendications immédiates, qui sont modestes, légitimes qui se trouvent dans la Charte revendicative qui a été présentée au Gouvernement du Front populaire, et que nous appuierons de toutes nos forces pour les voir se réaliser, malgré leurs faiblesses, car la revendication la plus petite, la plus infime nous intéresse au plus haut point parce qu’elle contribuera à soulager la misère de cette malheureuse population.

Ici, je prends l’engagement, au nom de mon organisation, devant le vénérable Cheikh Ben Badis, de faire tout ce qu’il est humainement possible pour appuyer ces revendications et pour servir la noble cause que nous défendons tous. Mais nous disons franchement, catégoriquement, que nous désapprouvons la Charte revendicative, quant au rattachement de notre pays à la France et la représentation parlementaire.

En effet, notre pays se trouve, aujourd’hui, administrativement rattaché à la France et dépend de son autorité centrale. Mais ce rattachement a été la conséquence d’une conquête brutale, suivie d’une occupation militaire qui repose présentement sur le 19ème Corps d’Armée, et auquel le peuple n’avait jamais donné son adhésion.

Or, le rattachement dont il est question dans la Charte revendicative est demandé volontairement, au nom d’un Congrès qui, soi-disant, représente l’unanimité du peuple algérien.

Il y a par conséquent une différence fondamentale entre le rattachement de notre pays, acquis contre notre volonté, et le rattachement volontaire accepté de plein gré au Congrès qui s’est tenu le 7 juin, à Alger (Congrès bâclé en trois heures de temps). Nous sommes, nous aussi, les enfants du peuple algérien et nous n’accepterons jamais que notre pays soit rattaché à un autre pays contre sa volonté ; nous ne voulons sous aucun prétexte hypothéquer l’avenir, l’espoir de la liberté nationale du peuple algérien.

Cet avenir appartient à la génération qui vient et c’est à elle seule qu’appartiendra le droit de décider comment elle entend diriger son sort et sa destinée. Nous sommes aussi contre la représentation parlementaire pour de multiples raisons. Et nous sommes pour la suppression des Délégations financières, du gouvernement général et pour la création d’un Parlement algérien, élu au suffrage universel, sans distinction de race ni de religion.

Ce parlement national algérien, étant sur place, travaillera sous le contrôle direct du peuple et pour le peuple. Nous pensons, quant à nous, que c’est là le seul moyen pour permettre au peuple algérien de s’exprimer librement et franchement, à l’abri de toute oppression et intrigue administrative.

Il ne m’est pas possible, en si peu de temps, de dire à ce peuple généreux d’Algérie tout ce que je voudrais lui dire, j’ai déjà dépassé le temps qui m’a été limité par l’honorable délégation, cependant je voudrais attirer votre attention en vous demandant, mes frères, de comprendre, de réfléchir et de bien examiner, sans emportement, le problème de notre pays qui se joue devant vous. Quoique très fatigué et déprimé par une traversée pénible, je viens à l’instant de descendre du bateau, je ne voudrais pas quitter cette tribune avant de vous exprimer toute ma joie, toute mon émotion de me retrouver parmi vous, sur le sol de notre patrie.

Enfin, avant de conclure mon intervention, je remercie l’honorable délégation qui a bien voulu me permettre de parler à cette tribune.

J’ai entendu, tout à l’heure, les orateurs qui m’ont précédé, dire avec combien d’égards et de bienveillance ils ont été reçus en France par le gouvernement du Front populaire, je ne veux pas discuter ou amoindrir l’atmosphère dans laquelle cette réception s’est déroulée, mais je dis que le peuple algérien se doit d’être vigilant. Il ne suffit pas d’envoyer une délégation présenter un cahier de revendications, ni trop se leurrer sur les réceptions et attendre que les choses se réalisent toutes seules.

Mes frères, il ne faut pas dormir sur vos deux oreilles maintenant et croire que toute l’action est terminée, car elle ne fait que commencer.

Il faut bien vous organiser, vous unir au sein de vos organisations pour être forts, pour être respectés, et pour que votre voix puissante puisse se faire entendre de l’autre côté de la Méditerranée.

Pour la liberté et la renaissance de l’Algérie, groupez-vous en masse autour de votre organisation nationale, l’Etoile nord-africaine, qui saura vous défendre et vous conduira dans le chemin de l’émancipation.

Je termine en criant : A bas le Code de l’indigénat, à bas la loi d’exception et de haines des races ; vive le peuple algérien, et vive l’Etoile nord-africaine !

Le journal El-Ouma, 26 août 1936.

 

 

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