Ce qui s'est passé à la prison de Barberousse au lendemain du déclenchement de la révolution algérienne


Lettre adressée par le Sécrétaire Général du MNA à Messali Hadj en résidence forcée, où il décrit son arrestation au lendemain du 1 er Novembre, et ce qui s'est passé à la prison de Barberousse ou se trouvaient des militants du CRUA, du MNA et des centralistes.

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2- Mon Arrestation, le 1er Novembre 1954

 

Lundi 1er novembre 1954, vers 10h du matin, alors que je venais de rentrer au local du parti, à 2 place de Chartres à Alger, Zitouni M. m’annonça par téléphone que des policiers étaient venus dans deux voitures me chercher chez moi à Bouzaréah, et que ne m’ayant pas trouvé, ils s’étaient dirigés vers le local du parti. Ainsi, prévenu à temps, j’ai immédiatement ordonné aux responsables des W qui étaient en réunion d’évacuer le local et pris moi-même le soin de ramasser tous les documents confidentiels et les fonds du parti (1 million 300 000 francs) et l’ai est envoyés dans une serviette à Zitouni. Aussitôt après, les policiers se présentent au local pour perquisitionner en vertu d’un mandat mentionnant « de rechercher des armes et des munitions ».

La perquisition s’est avérée infructueuse. Les policiers m’ont donné l’ordre de les suivre. J’ai refusé sous prétexte qu’ils n’avaient aucun mandat d’arrêt ou d’amener me concernant. Cependant, cela n’a servi à rien puisqu’ils m’ont emmené de force avec un jeune algérien venu au local pendant la perquisition.
Ce dernier fouillé était porteur d’une massue en fer recouverte de caoutchouc. Interrogé par les policiers dans des bureaux du local, il a répondu qu’il n’était pas militant du parti, ce qui est vraisemblable, car je ne l’avais jamais vu auparavant. Puis après 10 minutes d’interrogatoire en secret, l’un des policiers est sorti du bureau pour dire devant moi à ses collègues que l’individu était un salaud… J’ai compris plus tard que ce jeune avait reçu pour mission de m’abattre au local. C’est sans doute cela qu’il avait avoué aux policiers.


Puis les policiers m’ont fait monter dans une auto qui se dirigea à toute allure à la villa Mahieddine où je suis resté jusqu’au 7 novembre. Pendant toute cette période, j’ai subi toutes sortes de tortures et d’interrogatoires pour m’obliger à avouer tous les secrets du parti. Je dois dire que j’ignorais complètement tout ce qui s’était passé la veille et je ne l’ai appris que 2 jours plus tard par les policiers eux-mêmes, qui m’ont accusé d’être l’investigateur et le grand responsable des évènements. J’ai protesté contre cette accusation et contre les tortures dont j’ai fait l’objet.


Mais ces procédés n’ont donné aucun résultat d’autant plus que les nombreuses arrestations d’autres algériens ont permis aux policiers de savoir que les événements avaient d’autres auteurs. (Le CRUA). Mais pour ne pas me relâcher, les policiers ont eu recours à un autre subterfuge. C’est ainsi qu’ils m’ont conduit à mon domicile pour y procéder à une perquisition. Au cours de cette dernière l’un des policiers fit semblant d’avoir trouvé un pistolet et des balles de différents calibres dans un panier. J’ai d’abord nié ces armes et ces munitions mais dès que j’ai vu que les policiers s’adressaient à mon frère malade, j’ai jugé plus convenable d’en revendiquer la propriété. C’était de quoi consoler ces policiers qui avaient échoué dans leur tentative de me faire parler.

Le dimanche 7 novembre, sur l’intervention de mon avocat et de mon épouse auprès du procureur général, j’ai été présenté devant le juge d’instruction qui m’a signifié un mandat d’arrêt et mon incarcération, jusqu’au 16 mai 1955 date à laquelle j’ai été jugé et mis en liberté provisoire.


En prison, j’ai porté plainte contre les policiers qui m’avaient torturé. La visite par des docteurs désignés par le juge a établi que j’ai été vraiment  torturé, mais le procès n’a jamais eu lieu. Je sais toutefois que mes tortionnaires avaient été déplacés ou mis à pied. La presse en a parlé. En prison je suis resté au secret pendant plus de 2 mois. Après, j’ai été mis avec des dirigeants de la direction et des militants arrêtés en décembre 1954.

« …Là (en prison), j’ai appris que la Révolution avait été déclenchée par des éléments du CRUA d’accord avec nos responsables de Kabylie. J’ai aussi appris, que certains centralistes avaient quitté l’Algérie quelques jours avant les évènements après avoir remis une partie des fonds du parti qui était en leur possession aux dirigeants du CRUA. C'est-à-dire que ces centralistes avaient déjà connaissance de ce qui allait se passer le 1er novembre 1954».       

En mars 1955, la direction de la prison nous a rassemblés dans la même cour avec des centralistes et des CRUA. Là, nous avons appris que les centralistes, pour la plupart des conseillers municipaux tels que Kiouane, Abdelhamid, Boudaâ, Benkhedda, Dahlab, Zitouni, Dakhli, Demaghlatrouss, etc… avaient été arrêtés et dirigés directement en prison sans passer par les policiers et la torture. D’aucuns disaient que l’arrestation des conseillers municipaux centralistes avait eu lieu d’un commun accord avec l’administration, c’était parait t-il le meilleur moyen de se racheter aux yeux de l’opinion qui les voyait d’un mauvais œil depuis leur exclusion du parti. De plus c’était aussi une mesure de protection pour eux.

En prison, Kiouane bénéficiait d’un régime exceptionnel. Il logeait à l’infirmerie et recevait beaucoup de visites. Ali Abdelhamide faisait fonction de prévôt et les gardiens le traitait avec bienveillance.
Bientôt nous avons aussi appris que Kiouane avait reçu le commandant Monteuil, chef du cabinet du gouverneur général Soustelle. La conversation entre eux avait eu pour objet les conditions de leur libération et les moyens de mettre fin à la Révolution. Les centralistes avaient émis de source certaine comme condition de leur acceptation ma propre libération, car ils savaient que l’opinion ne pourrait pas comprendre qu’ils fussent libérés facilement après avoir été arrêtés. C’est à la suite de cet entretien que j’ai reçu à mon tour la visite de ce commandant.

La conversation a eu pour objet la solution à apporter au problème algérien pour mettre fin à la guerre :

1° En tant que Secrétaire Général du Parti, je ne puis que répéter notre programme, à savoir : Donner la parole au peuple Algérien pour décider de son propre sort ;
2° Toute solution doit être négociée avec le chef du parti Messali Hadj

Le commandant après une heure de discussion a convenu que notre position est tout à fait logique et qu’il nourrit l’intention de rendre visite à Messali pour discuter avec lui. En me quittant, le commandant m’a fait allusion à la prochaine libération de certains nationalistes.
Quelques jours plus tard, le parquet général a décidé de réviser les enquêtes et interrogatoires de tous les détenus arrêtés pour des faits politiques. Les premières enquêtes faites au lendemain de l’arrestation des centralistes avaient révélé de nombreux faits établissant leur liaison avec les éléments du CRUA. On sait que cette dernière organisation avait été créée au début avec l’accord des centralistes eux-mêmes dans le but de détourner les militants messalistes du parti où à la rigueur détruire ce dernier. Les interrogatoires ont été arrangés d’une façon telle qu’aucune irrégularité pouvant faire obstacle à leur libération ne subsistât. C’est à la suite de cette révision que les avocats nous ont tous conseillé de faire notre demande de mise en liberté provisoire. Le juge d’instruction qui avait procédé à l’enquête nous a convoqué moi et quelques autres centralistes : Dahlab, Benkhedda, Demahlatrouss, Abdelhakim, etc… au parloir de la prison. Il nous a alors proposé de rédiger des lettres où nous devrions nous engager à ne pas faire de politique après notre mise en liberté provisoire. Devant le silence des centralistes, je me suis avancé devant le juge et j’ai protesté énergiquement contre ce fait, que la loi n’a nullement prévu parce que portant atteinte à notre liberté d’expression. J’ai ajouté personnellement : je n’accepte pas cette condition et que je préfère rester en prison avec mon honneur et ma dignité. Le juge d’instruction m’a regardé avec un air tout étonné et comme pour dégager sa responsabilité, il m’a déclaré qu’il n’était qu’un simple messager du procureur général. Dahlab s’est précipité pour dire : « moi, Mr le Juge, j’accepte et je suis prêt à rédiger cette lettre ». Il a été suivi aussitôt par tous ses camarades sauf Benkhedda qui est sorti avec moi sans rien dire.


Trois jours après, Dahlab et ceux qui avaient accepté les conditions du juge ont été libérés. Le 13 mai, c'est-à-dire une semaine après, les autres ont été libéré à leur tour et il ne restait que moi et mes amis en prison parmi ceux qui avaient fait leur demande de mise en liberté provisoire. Dehors la presse avait annoncé la libération de nationalistes. Beaucoup de gens étaient venus pour accueillir les détenus à leur sortie de prison et chacun croyait qu’il s’agissait de la libération de tous. Les centralistes qui n’avaient pas la conscience tranquille se sont bornés à dire aux gens qu’en ce qui me concerne, je serai libéré le lendemain.

Ce jour-là, l’avocat est venu me dire que le parquet général n’était pas disposé à me libérer pour le moment. Quoiqu’il en soit ce n’est que le 16 mai que j’ai été convoqué devant le tribunal siégeant à huit clos pour statuer sur ma libération. Finalement, j’ai été libéré provisoirement en attendant que je passe quelques jours plus tard en correctionnel pour être condamné à 6 mois de prison ferme, peine que j’avais déjà purgée en prévention. Je voudrais faire remarquer ici que ma libération était subordonnée à celle des centralistes qui l’avait fait dire à maintes reprises lorsque nous étions ensemble en prison. Mais cette libération de tous les détenus était le change d’une politique que les centralistes avaient promis de pratiquer une fois libérés.

Il m’a été révélé en prison qu’ils avaient convenu avec le commandant de Montreuil qu’une fois libérés, ils œuvreraient pour l’union de toutes les tendances politiques algériennes dans un organisme qu’ils allaient appeler « Rassemblement Populaire Algérien ». Le but du gouvernement français en leur inspirant cette politique, était d’introduire ses agents dans ce rassemblement et de faire en quelque sorte échouer la Révolution. Je pense que le gouvernement a atteint son premier objectif au sein du FLN puisque les centralistes s’y sont définitivement ralliés ainsi que d’autres.

Avant de terminer ce rapport, je voudrai parler un peu du comportement des centralistes en prison et de leur jugement sur la Révolution. En effet, ils étaient divisés en deux, ils se critiquaient mutuellement et n’avaient aucune confiance les uns en les autres. Leurs chefs Abdelhamide, Benkhedda et Zitouni recevaient chaque jour de gros paniers pleins de toutes sortes de nourritures. Ils ne donnaient rien ou presque à leurs camarades qui étaient obligés de se contenter de la gamelle de la prison.

Quant à la Révolution, aucun d’entre eux ne la prenait au sérieux. Les uns disaient « ces batards (en parlant des éléments du CRUA) ont déclenché ces événements dont le seul résultat a été notre arrestation ». Les autres disaient : «  ces événements ne vont pas tarder à prendre fin car le peuple algérien n’est pas mûr et il est encore loin de comprendre le sens de l’indépendance ». Boudaâ ne cessait de répéter à qui voulait l’entendre tous les propos défaitistes. Quant à mes camarades et moi nous étions tout à fait sûrs de la continuité de la lutte car nous avions appris que nos militants étaient déjà entrés en lice et avaient rejoint les maquis. Les nouvelles nous parvenant chaque jour indiquaient clairement que les événements progressaient. Quant aux éléments du CRUA, ils étaient d’accord avec nous et nous manifestaient beaucoup de sympathie. Par contre, ils haïssaient les centralistes.

            En conclusion, malgré toutes les tortures et les vexations qu’on subies nos militants, ceux-ci sont toujours restés fidèles à leur parti et respectueux de ses principes Ils ont porté haut son drapeau à témoin leurs avocats qui chaque fois les louaient pour leur comportement devant les tribunaux et les policiers. Toutes les expériences de la prison et de la police qu’ils ont vécus leur ont appris que le parti avait bien fait de se débarrasser des centralistes dont le comportement et la conduite ont été honteux.


MOULAYE MERBAH
Secrétaire Général
du Mouvement National Algérien

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