Rapport de Moulaye Merbah sur le 1er Novembre 1954

Lettre adressée par le Sécrétaire Général du MNA à Messali Hadj en résidence forcée, où il décrit son arrestation au lendemain du 1 er Novembre, le déclenchement de la révolution algérienne et le rôle logistique, militaire et politique du MNA.

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3- Annexe au Rapport sur ma Détention

 

Le lendemain de ma libération, les frères de la nouvelle direction qui vivaient dans la clandestinité avaient décidé une réunion où je devais être présent afin qu’ils me donnent un compte rendu sur la situation depuis mon arrestation. Sachant que j’étais surveillé de très près, j’ai décommandé la réunion. Mais les frères avaient tenu à se réunir d’abord entre eux et au moment où ils allaient vers le lieu, deux d’entre eux ont été arrêtés. Ce n’est que 8 jours plus tard qu’ils ont été libérés avec obligation de résider hors Alger. Le premier Z. avait choisi l’Oranie et l’autre la France.

Cependant avant leur départ, j’ai pu les contacter et avoir quelques renseignements sur la situation du parti, la lutte, leur arrestation, les interrogatoires auxquels ils ont été soumis, etc… Z. après m’avoir fait pendant toute une nuit un long exposé sur tout ce qui s’est passé, a promis de revenir à Alger et de continuer son travail dans la clandestinité, quoi qu’il lui en coûte.
Le second O. m’a remis une somme d’argent qu’il avait apporté de Paris. De cette somme, il manquait si je me souviens bien, un chiffre de 450 000 francs. Il a prétendu qu’effectivement cette somme manquait mais qu’il croyait que c’était sans doute le porteur qui avait pris le montant à son insu. Je ne pu personnellement le croire car je le considérais comme seul responsable. Depuis, l’intéressé qui avait complètement nié, a été mis à l’écart. Je dois ajouter cependant qu’il s’agit d’un excellent militant, intelligent et discipliné et qui est resté malgré tout fidèle au parti.

Pendant que j’étais à Alger, Z. est effectivement revenu et s’est installé dans un local clandestin qui ne fut découvert que 7 mois plus tard au moment de son arrestation. Il convient de noter que ce dernier, pendant tout ce laps de temps, avait travaillé et était en liaison avec moi. Cependant, certaines informations reçues et non encore contrôlées indiquaient qu’il avait commis des erreurs dans ses actions politiques et tactiques. Quoiqu’il en soit, je garde pour lui beaucoup d’admiration, ne serait-ce que parce qu’il a sacrifié son commerce car il avait un fond d’une grande valeur.

Par ailleurs, quelques jours après ma libération, mon avocat B. m’a informé que le commandant Monteuil désirait absolument me voir et m’a fixé rendez-vous. Après quelques hésitations, j’ai dû accepter. Voilà ce qu’il m’a dit : « j’ai appris que vous avez l’intention de vous rendre à Paris. Je vous déconseille ce voyage pour l’instant car il s’agit de votre propre sécurité. Les colons qui ne pardonnent pas votre libération et tenteraient de vous tramer un complot ». Je l’ai remercié et lui ai déclaré que ma décision est prise d’aller en France dès que j’aurais terminé mes affaires en Algérie.

Il y avait peut-être un peu de vérité dans tout ce qu’il m’a dit, mais les raisons majeures s’étaient révélées quelques jours plus tard. En effet, la police française préparait déjà à Paris son coup de filet contre le comité Fédéral du parti. Elle l’avait bien réussi puisque tous les dirigeants ont été arrêtés. Le commandant Monteuil craignait en effet que je sois arrêté avec eux en France et cela compromettait la politique de son gouvernement aux yeux des colonialistes qui s’étaient opposés uniquement à ma libération.
Pendant plus d’un mois et demi, j’ai été sans cesse surveillé étroitement par la police. Celle-ci a été même jusqu’à intimider l’employé de Z. en le menaçant d’arrestation s’il ne lui fournissait pas des renseignements sur mes contacts. Cet employé qui était un militant éprouvé du parti a refusé catégoriquement et son refus lui a couté la résidence forcée à Bossuet.


Le 14 juillet 1955, j’ai pris l’avion pour Paris, dans ce même avion j’ai rencontré Kiouane et Messaoudi Zitouni qui ont pris l’initiative de me parler pour me dire qu’ils allaient eux aussi à Paris contacter certaines grandes personnalités politiques afin de les intéresser au problème algérien et les aider à trouver une solution. C’est, disent-ils, leur deuxième voyage qu’ils entreprennent pour Paris où ils trouveront Benkhedda. Sans doute le Maire Chevallier les avait-il recommandaient auprès de Mendès France. J’ai appris en effet plus tard par Amir que lui-même les avait mis en contact avec Mendès France par l’intermédiaire de Pr. Massignon.
Mais leur présence à Paris ne comportait pas seulement des contacts ; ils devaient faire une certaine activité pour débaucher nos militants. Nous avons en effet appris à Paris qu’ils avaient déjà formé une certaine direction avec la participation de Ben Mhel et Boulahrouf et d’autres qui avaient été chassés du parti.


A Paris, pendant plus de 8 jours, j’ai été suivi partout par la police. Je ne pouvais par conséquent me mettre en contact avec aucun militant de peur de le compromettre. Puis, je me suis rendu à Angoulême où pendant 15 jours environ, je suis resté auprès du président. A mon retour à Paris, j’ai déjoué la surveillance de la police et suis rentré dans la clandestinité pour m’occuper du parti.
Mais déjà une propagande intense inaugurée par « L’Express » qui avait publié l’interview de Krim et Ouamrane, commençait en faveur du FLN. Cette propagande menée par les Mendésistes et les Communistes dans leurs presses avait réussi à tromper l’opinion française et à atteindre le moral de nos militants qui commençaient à douter du parti et de son existence au maquis. Une véritable lutte a été engagée contre cette propagande par nos dirigeants, mais les moyens dont ils disposaient pour la mener à bien étaient encore très faibles. Le seul journal du parti, La Voix du Peuple ne pouvait paraître qu’à des intervalles éloignés faute d’imprimeur. Les communiqués du parti, remis à la presse, sont rarement publiés. Quand la presse parisienne parle du parti, elle ne le fait que pour dire que Messali est dépassé et que le MNA n’existait plus. Cette situation a duré plusieurs mois, malgré tous nos efforts. C’est ainsi que pour briser ce mur du silence et de la haine, le parti avait décidé d’organiser des manifestations dans toute la France à l’occasion des débats sur l’Algérie à l’Assemblée Nationale Française le 9 octobre 1955. De grandes manifestations ont lieu dans de nombreuses villes de France. A Paris les Algériens se sont heurtés à la présence de la police dans tous les lieux où les manifestations devraient se produire. La police parisienne, d’après les renseignements fournis avait été en effet alertée à la veille de cette action par un tract du FLN qui demandait aux militants du parti de ne pas manifester pour ne pas provoquer contre eux la répression colonialiste. Mais cela n’a pas empêché la presse française de parler de ces manifestations à travers la France. Certains journalistes avaient même reconnu la force du MNA en France.

En Algérie, notre direction nous a toujours affirmé que nos maquis étaient nombreux en Kabylie, dans les Monts du Hodna, dans les Aures et à Biskra. Notre organisation de sécurité existait en grand nombre à Alger et à Oran. De nombreuses actions contre les traitres avaient été menées par elle, mais ces actions étaient le plus souvent imputées à l’actif du FLN. On pouvait remarquer à l’époque que cette politique de silence était la même en France et en Algérie.

Bientôt après, les arrestations successives de nos dirigeants à Alger ont porté un grave coup au parti en Algérie. La période de la crise devait commencer aussitôt après leurs arrestations vers la fin de l’année 1955 et après mon départ en France le 1er avril 1956.
Je dois signaler que vers le mois de novembre 1955, la direction d’Alger qui nous avait de tout temps refusé d’accepter des militants de France en raison du manque de matériel et de cadres, elle venait enfin de nous offrir une soupape de sécurité en acceptant un nombre de militants qui ne devrait pas dépasser 70, parmi ceux surtout qui avaient fait leur service militaire.

Quelques jours après, les volontaires pour rejoindre l’Algérie et prendre part à la lutte se sont fait connaitre nombreux dans toutes les régions de France. La plupart d’entre eux avait dû apprendre le maniement des armes sous la direction d’un militant venu du Caire. Ces militants qu’on pouvait évaluer à l’époque à 300 étaient partis suivis quelques temps après par l’instructeur en question.

Plusieurs d’entre eux sont tombés sur les champs de bataille pour la Libération de l’Algérie. Combien parmi eux qui avaient donné des preuves de courage au combat. Nous pouvons citer le général Ziane dont la presse a beaucoup parlé, le commandant Ibrahim qui n’est autre que l’instructeur sus-cité Rabah, Abdelkader, etc…


Comme tout le monde le sait, nos combattants avaient à faire face non seulement à l’armée française mais aussi au FLN. Les exemples abondent dans ce domaine. La presse a rapporté parmi d’autres les boucheries de la Soumman et de Mélouza. La direction d’Alger nous a également parlé dans une lettre d’un piège du FLN dans lequel sont tombés nos combattants en Kabylie. Leur chef fût tué et les autres complètement désarmés et même déshabillés. Les responsables qui avaient fait ce coup n’étaient autres que Krim et Ouamrane, qui avaient agi par hypocrisie dans le but de rester les maîtres de la Kabylie.

Depuis le 1er aout 1955 jusqu’à ma sortie de France le 1er avril 1956, le parti avait fait de son mieux et selon ses possibilités pour aider les combattants. Il est vrai qu’il ne pouvait pas satisfaire toutes les demandes qu’on lui faisait, car il avait aussi une autre lutte d’influence à entreprendre en France.

En effet, à mon arrivée à Paris, la propagande en faveur du FLN s’accentuait. Une véritable conspiration du silence s’était faite autour de nous, notamment de la part des intellectuels français qui venaient de former un comité de la paix en Algérie. Ce comité pour commencer son activité avait adressé à toutes les personnalités politiques algériennes un questionnaire sur la façon dont il faudra régler le problème algérien. Seul Messali a fait parvenir ses réponses. Puis un meeting fût tenu à la salle Wagram pour protester contre la répression et réclamer des négociations. Mais en vérité de nombreux orateurs avaient consacré dans leur discours le FLN comme seul interlocuteur valable. Auparavant d’accord avec Messali et malgré l’opposition de certains orateurs, tels que Me Stibbe, Barat, Mandouze, etc…, j’ai pris la parole pour faire entendre la voix du parti et déjouer les manœuvres des alliés du FLN. Je n’ai pas besoin de dire que mon intervention au nom du parti et de son président fut un triomphe, grâce à nos militants qui occupaient près de la moitié de la salle. Ce fût aussi une surprise autant pour les membres du Comité qui s’étaient opposés à mon intervention que pour les Français qui avaient été pendant longtemps trompés par la propagande communiste et consorts. Le lendemain on s’attendait à ce que la presse relatât les faits mais il n’en fût rien si ce n’est que pour dire que le Comité, en quelques mots, a tenu une réunion en faveur de la paix. « L’Express » aveuglé par le dépit a fait paraitre un entrefilet où il est dit que le meeting était une réunion de messalistes.

Quoi qu’il en soit, l’enthousiasme crée fut tel que nos militants encouragés ont continué avec confiance la lutte pour renforcer le parti. Le 9 mars 1956, le problème algérien revient de nouveau devant l’Assemblée Nationale Française, il fallait tenter une autre action pour impressionner l’opinion publique et faire parler de la force du MNA. Une grande manifestation a été organisée. Près de 100 000 Algériens avaient participé drapeau déployé en tête du cortège et portée par une militante algérienne. La manifestation a été reportée par presque toutes les radios et la presse du monde. Le journal « Le Monde » avait tenté d’imputer cette manifestation au FLN, dans un premier article. Le lendemain il dût rétablir son erreur.

Cette grande manifestation a marqué le point de départ d’autres manifestations et grèves tournantes par les travailleurs algériens, pendant près d’un mois dans les grandes villes de France ; tels que Lille, Lyon, Marseille, St Etienne, Roubaix, Thionville, Maubeuge, Douai etc… C’est à la suite de ces actions successives que l’opinion française comprit la puissance du MNA en France. Les Communistes et consorts durent cesser momentanément leur propagande pernicieuse contre le parti.

Par ailleurs, la police parisienne qui avait déjà arrêté plusieurs centaines d’Algériens ayant participé à la manifestation de Paris se borna à rechercher le ou les organisateurs. C’est ainsi que l’intéressé pour lui échapper dût se réfugier d’abord pendant une quinzaine de jours en dehors de Paris et ensuite quitter la France pour la Belgique et le reste de l’Europe.
A Bruxelles, j’ai procédé à la réorganisation du parti dans ce pays et donné de nombreuses conférences. J’ai aussi rendu visite à toutes les Ambassades arabes et islamiques. J’ai expliqué la situation de la Révolution en Algérie et la politique du parti quant à la solution du problème. \

A l’Ambassade d’Egypte, j’ai insisté pour avoir des renseignements sur nos frères Mézerna et Chaddly dont nous n’avions pas eu de nouvelles depuis juin 1955, malgré lettres et télégrammes que nous avions adressés au Président Nasser. Je n’ai pu obtenir aucun renseignement.

J’ai demandé aussi à chacune de ces Ambassades, notamment la Syrie er l’Irak la délivrance d’un passeport ou tout au moins un laisser passer pour me permettre de rendre visite aux Etats Arabes et de me déplacer en Europe au service de l’Algérie. Beaucoup de promesses m’ont été faites mais aucune n’a été tenue.

J’ai eu en outre à rendre visite plusieurs fois à la CISL pour lui rappeler la demande d’affiliation de l’USTA. Des promesses ont été faites aussi mais jamais tenues, bien au contraire, le 2 juillet 1956, la CISL avait crû utile d’accepter l’adhésion de l’UGTA et de refuser celle de l’USTA qui avait pourtant la priorité.
Le 14 avril 1956, j’ai dû pour des raisons de sécurité prendre l’avion pour la Suisse où je me suis installé provisoirement à Berne pour attendre une réponse des Ambassades arabes au sujet du passeport. Mais 8 jours après le 25 avril 1956, j’ai dû retourner à Genèvre où venait d’arriver Bouhafa que j’avais laissé à Paris au moment de quitter la France.


MOULAYE MERBAH
Secrétaire Général
du Mouvement National Algérien

 

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